C’est une belle journée car les enfants sont heureux 
C’est une belle journée car les enfants sont heureux 

C’est une belle journée car les enfants sont heureux 

Les voies du souvenir sont impénétrables !

Noubé s’est réveillée très tôt ce matin-là, attentive à la délicatesse du jour tout juste né. Il renvoyait l’écho d’un dimanche de mai, il y a dix ans.

À cette époque, son job principal était de faire des animations avec des jeux traditionnels du monde entier. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée dans un parc magnifique avec une dizaine de jeux à faire découvrir… à celles et ceux qui voudraient bien en prendre le temps.

Une femme brune, élégante et fragile est arrivée en fin de matinée. Appelons-la Irène. Elle était accompagnée par son fils et ses petits-fils. Noubé leur a montré quelques jeux, attentive à trouver le bon équilibre entre le fait d’être là pour leur donner les infos nécessaires tout en les laissant profiter de ce moment ensemble. Et puis il y a eu cette phrase qu’Irène a prononcée alors qu’elle regardait ses petits-enfants jouer :

– Aujourd’hui c’est une belle journée car les enfants sont heureux.

Parfois, quelques mots spontanés témoignent de ce que nous sommes bien mieux que des présentations laborieuses. Noubé eut le sentiment que ces mots-là en disaient beaucoup sur cette femme. Ils parlaient d’amour, de générosité, d’harmonie. Ils étaient beaux à entendre !

Noubé n’a rien répondu. Elle a simplement souri et Irène a commencé à lui raconter ce week-end qu’elle passait avec son fils et ses petits-fils. Elle leur avait préparé des crêpes la veille. Ils avaient passé une soirée agréable… qu’elle avait fini épuisée ! Elle adorait les avoir avec elle, mais organiser quoi que ce soit la fatiguait énormément maintenant. C’est pour cela qu’ils étaient de sortie aujourd’hui.

– Mais nous devons partir, c’est la fête des Mères et j’ai réservé une table dans un restaurant. Nous sommes déjà en retard. Nous reviendrons après. Voulez-vous que je vous rapporte quelque chose à boire, à manger ?

Noubé n’était pas convaincue qu’elle reviendrait et cela avait peu d’importance. Ce moment passé en sa compagnie se suffisait ainsi. Elle a repris son job là où elle l’avait laissé, s’est occupée des gens, des jeux. L’atmosphère était joyeuse, le public charmant et le soleil avait enfin fait son apparition ; c’était effectivement une belle journée !

Irène est revenue.

La conversation a alors pris un tour plus intime. Elle a raconté à Noubé qu’elle était malade, qu’elle avait tenté un dernier traitement il y a quelques mois sans trop savoir s’il y avait une chance qu’il soit efficace. Les médecins n’étaient guère optimistes. Mais elle avait des racines autrichiennes, elle était coriace ! Elle avait dit à son médecin qu’elle trouverait la force d’aller faire du ski avec ses petits-fils et elle l’avait fait. De toute façon, son fils et ses petits-enfants avaient encore besoin d’elle…

Irène lui a dit tant et tant de belles choses sur sa vie, sur leurs vies. Noubé était très émue, un peu gênée par ses compliments et très heureuse aussi.

Ce fut un moment précieux. Un de ceux où il n’est pas nécessaire de se connaître pour se sentir infiniment proches. Un moment rare où l’intensité des échanges va bien au-delà des mots prononcés, des sourires donnés. Ce fut un bouquet de lumières, gaies et tendres, dont elles étaient émettrices et réceptrices.

Une fois l’animation terminée, les jeux rangés dans la voiture, Noubé s’est retrouvée en larmes, profondément bouleversée. Avant de partir, Irène l’avait serrée dans ses bras. Noubé aurait aimé lui transmettre la vitalité qu’elle avait en elle. Peut-être l’avait-elle fait. Elle souhaitait tant l’avoir fait ! Mais sur la route, elle pleurait et pleurait encore ; Irène allait mourir et Noubé en était inconsolable.

Les pensées qu’Irène lui inspire aujourd’hui sont pleinement en accord avec la quiétude de ce petit matin. Le souvenir de cette rencontre est toujours vif. Il resplendit de douceur et de gratitude. Et cette douceur et cette gratitude continueront à vivre et à s’exprimer en l’honneur d’Irène.

Qu’un échange dure quelques heures, quelques mois, quelques années, c’est juste une gradation à l’échelle de l’éphémère. Son importance tient plutôt à sa beauté, à son intensité, à sa transmission… Comme un bouquet de lumières qui passerait d’âme à âme !