Eurêka d’automne
Eurêka d’automne

Eurêka d’automne

Noubé revient de balade, salue Hyphie et Jihsa du regard et s’apprête à monter à l’étage.

– C’est quoi ces yeux brillants et embués, tu as eu une révélation ? lui lance Hyphie

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– Il semblerait…

– Encore !

– Ben oui, encore, y’a des moments où ça n’arrête pas.

– Raconte-nous ! s’exclame Jihsa tout en s’installant dans son coin du salon

– Raconte-nous, mais ne fais pas trop long, je dois filer dans vingt minutes.

– OK pour la version courte. J’étais sur le chemin de la maison quand une feuille morte m’est tombée sur la tête.

– Et t’as eu un eurêka !

– Sur le moment non. J’ai juste trouvé ça très doux, comme une caresse sur mes cheveux. Du coup, je me suis arrêtée, je me suis approchée de l’arbre, me suis appuyée contre son tronc et je suis restée un moment à suivre du regard les feuilles qui tombaient lentement, à observer toutes celles qui jonchaient le sol.

– L’automne quoi.

– Oui, l’automne. J’ai repensé aux mots de Franck Lopvet que j’avais trouvés drôles et profonds, c’est probablement pour ça qu’ils me sont restés en mémoire. Tu t’en souviens peut-être aussi Jihsa ? Dans un des podcasts, il avait dit quelque chose comme « un arbre qui perd ses feuilles en automne, il ne va pas chez un psy pour dire : C’est terrible ce qui m’arrive, aidez-moi ! »

– Non, ça ne m’a pas marqué, mais je crois comprendre pourquoi ça t’est revenu aujourd’hui.

– Pourquoi ? s’impatiente Hyphie

– Parce que ça m’a fait penser à tous ces deuils que l’on est amené à faire, à toutes ces parties de soi qui finissent inévitablement par mourir, qui tombent, se décomposent et participent à l’émergence d’un nouveau cycle de vies. Puis j’ai pensé au stress hydrique que beaucoup d’arbres ont connu l’été dernier. En août, certains perdaient leurs feuilles ! Pour maintenir l’ensemble en vie, ils ont dû renoncer prématurément à certaines feuilles. J’ai pensé aux arbres foudroyés, déracinés par la tempête et à tous ceux, malmenés, qui trouvaient quand même une deuxième vie. J’ai pensé aux arbres visiblement morts et qui portent encore la vie.

– Alors tu en es arrivée au jeune arbuste que tu as été, qui a été fracassé par la chute d’un arbre tout près ?

– Oui, c’est un peu ça Jihsa. Une partie a été amputée, l’ensemble a été sérieusement amoché, mais il a continué à vivre, à la fois vigoureux et si fragile. Ces dernières années, il a même réussi à choper de la lumière et à grandir de façon inespérée.

Jihsa acquiesce :

– Quand j’étais enfant, j’étais persuadé que l’érable qui se tenait près de la maison de mes grands-parents était mon jumeau. Il était bien plus grand que moi, bien plus solide, mais j’aimais me voir en lui et le voir en moi : paisible, accueillant, plein d’une vie foisonnante et changeante. Je m’installais dans le petit espace qui se trouvait entre ses troncs et je le suivais dans sa course vers le ciel. Je le suivais jusqu’au vertige. Aujourd’hui, retourner vers lui c’est comme échanger des nouvelles avec un autre moi-même, sans un mot, sans une pensée ; juste sa présence et la mienne.

Étonnamment Hyphie, va dans son sens,

– C’est ça que tu peux faire Noubé. Retourne sur les lieux où tu as grandi, trouve-toi un arbre dans un coin familier. Et s’il te plaît, choisis-en un qui ne risque pas de s’écrouler à la prochaine tempête, ça casserait un peu la dynamique !

– Oui, choisis-en un, sourit Jihsa. Savoure le chemin qui t’a ramenée jusqu’à lui et regarde-le comme un pote que tu aurais enfin retrouvé.