Que de choses, et que d’êtres nous entraînons sans le savoir dans le réseau de nos lumières, de nos espérances, de nos images !
(…) Alors seulement commence la responsabilité envers le monde quand on s’aperçoit combien de choses on fait souffrir de sa souffrance, combien de choses et de gens et d’êtres étouffent de notre étouffement, de notre ressentiment, de notre haine, que de choses sont prises dans le réseau de nos désespoirs, que de choses nous entraînons dans nos dépressions, combien de plantes meurent autour de nous dans nos appartements, combien de morts entraînent nos dépressions.
Prendre conscience de toute cette queue de comète que nous entraînons avec nous dans une existence ! Prendre conscience de ce qui se produit dans un renversement, un renversement d’une modestie infinie, quand nous commençons à prendre au sérieux les gestes que nous faisons sur cette terre. Quand je commence à comprendre les conséquences qu’a la manière dont je te verse à boire, dont je te tends la main, dont j’entre dans le jour au matin, et avec quelles pensées ! Est-ce que je vais grossir ce nuage noir au-dessus de la ville, ce nuage noir de pensées mauvaises, de ressentiments, de tristesse, de colère, d’impuissance ou est-ce que je pose en ouvrant les yeux une autre image, un autre accent ? Est-ce que je crée un autre champ vibratoire où d’autres peut-être en attente vont pouvoir, comme dans un réseau d’ondes, se brancher à leur tour ? Peut-être que quelqu’un aujourd’hui a eu une pensée d’amour, et sans le savoir je l’ai captée ? Que de choses, et que d’êtres nous entraînons sans le savoir dans le réseau de nos lumières, de nos espérances, de nos images !
J’ai cité une anecdote dans Les âges de la vie, un fait divers qui m’avait ébranlée. Un employé des chemins de fer était entré dans un wagon frigorifique pour le nettoyer, et la porte s’était refermée derrière lui. Et le voilà enfermé dans ce wagon frigorifique. Comme c’était un vendredi soir, il est resté tout le week-end dans ce wagon frigorifique et évidemment il est mort de froid. Seulement voilà, la réfrigération n’était pas branchée et il y avait 18° dans le wagon ! À l’autopsie, son corps a montré tous les symptômes d’une mort par refroidissement. Cet homme est donc mort de la représentation qu’il avait du froid. Il est mort de son imaginaire ! C’est quelque chose d’extraordinaire ! Nous vivons et nous mourons de nos images, pas de la réalité. La réalité ne peut rien contre nous. C’est la représentation que nous en avons qui nous tue ou qui nous fait vivre. Imaginez le contraire, imaginez un employé des chemins de fer enfermé dans un wagon frigorifique branché mais qui survivrait en visualisant le soleil tout un week-end. C’est aussi possible. Bien sûr que c’est possible et c’est ce que nous avons à faire dans cette société, où nous mourrons de froid, où nos cœurs meurent de froid. Le pouvoir d’aspiration du négatif est quelque chose d’extraordinaire. C’est un puissant aspirateur. Et pourtant la même force est à notre disposition dans la ferveur.
Christiane Singer
Extrait Du bon usage des crises, Espaces libres, Albin Michel, p 69 à 71